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Enerdrape ou la géothermie sans forage

La start-up de l’EPFL a conçu des panneaux thermiques exploitant la chaleur naturelle des parkings, tunnels ou encore des caves. Une solution simple qui peut fournir jusqu’à 60% de la chaleur d’un bâtiment et qui lui a valu le Prix SUD, organisé par «Le Temps»

Margaux Peltier, la directrice d’Enerdrape, devant des panneaux de sa société, dans le parking de Sébeillon, le 25 avril 2022. — © Eddy Mottaz / Le Temps
Margaux Peltier, la directrice d’Enerdrape, devant des panneaux de sa société, dans le parking de Sébeillon, le 25 avril 2022. — © Eddy Mottaz / Le Temps

Dix affiches rayées bleu et blanc semblent faire office de panneaux publicitaires dans un parking de Sébeillon, à Lausanne. Elles ne font aucun bruit et donnent un peu de couleur au béton. Si on regarde de plus près, on constate qu’elles sont collées sur des plaques en métal connectées par des tuyaux et des capteurs. Le message qu’elles véhiculent porte sur la chaleur de parkings souterrains qu’on peut récupérer de façon durable pour chauffer un bâtiment. Et pour cause: elles sont en fait un exemple dernier cri de géothermie de surface sans forage fourni par une spin-off de l’EPFL, Enerdrape.

Dans la transition énergétique, ces panneaux sont les prototypes d’un «nouvel outil dans la boîte à outils» du mix énergétique, selon Margaux Peltier, la directrice d’Enerdrape rencontrée sur place. Ils peuvent contribuer jusqu’à 60% du chauffage d’un bien immobilier, où à son refroidissement l’été, et se déployer dans les sous-sols, en pendant souterrain des panneaux solaires, à un coût additionnel marginal proche de la gratuité, selon l’entreprise.

Une solution qui renforce l'autonomie énergétique

Leur potentiel et leur simplicité détonnante ont valu à Enerdrape le Prix SUD, organisé par Le Temps, en partenariat avec Romande Energie, et remis le 5 mai, et doivent lui permettre de lever 2 millions de francs cette année pour entrer dans une phase de commercialisation, espère l’entreprise. La hausse des prix des hydrocarbures et le manque de sécurité d’approvisionnement en la matière rendent d’autant plus intéressante cette solution renouvelable, qui renforce l’autonomie énergétique.

«Nos panneaux fonctionnent selon le même principe qu’une sonde géothermique: ils puisent la chaleur du béton ou de l’air, ce qui chauffe l’eau à l’intérieur d’un circuit fermé de tuyaux passant en leur sein et alimentent une pompe à chaleur, mais sans forage car on ne puise pas l’énergie en profondeur», explique la directrice. L’eau gagne ainsi une moyenne de 5 degrés, de quoi engendrer de bons rendements à la pompe à chaleur.

Les origines

Tout a commencé dans le Laboratoire de mécaniques des sols de l’EPFL, avec des recherches académiques aux résultats concluants, menées par Margaux Peltier, le docteur en mécanique Alessandro Rotta Loria et le professeur Lyesse Laloui. Une série de prix a incité la première à transformer ces études en une aventure entrepreneuriale pour éviter qu’une «énième bonne solution universitaire ne finisse dans des tiroirs», dit-elle. La Française a suivi des cours d’entrepreneuriat, développé un prototype, pris du retard à cause de la pandémie. Enerdrape Sàrl – un anglicisme qui mélange energy et drape (rideau) – a tout de même été inscrite au Registre du commerce vaudois au printemps 2021, a engagé ses premiers collaborateurs durant l’été et bénéficie d’une licence sur des brevets de l’EPFL.

«Notre solution est complémentaire aux sources d’énergie intermittentes, indique Margaux Peltier. Elle ne concurrence pas les panneaux solaires, car on ne les met pas sur les toits, et produit la même quantité d’énergie de jour comme de nuit, car dans les sous-sols la chaleur est constante. Elle concurrence le gaz, plus puissant mais qui pollue plus et qui à long terme coûte plus cher.»

L’efficacité du système dépend du bâtiment qui en bénéficie: 1 m2 de panneau chauffera moins de 2 m2 de surface s’il est vieux et mal isolé, mais 5 m2 s’il répond aux dernières normes. L’installation dépend d’une pompe pour la circulation de l’eau, en produisant toutefois 4 à 5 fois plus d’énergie que l’électricité qu’elle consomme.

«J’aime beaucoup l’idée d’exploiter le potentiel énergétique du bâti souterrain», indique Eric Plan, secrétaire général de l’organisation CleantechAlps et membre du jury du Prix SUD. «La géothermie est aujourd’hui le parent pauvre de la transition énergétique et la technologie d’Enerdrape permet de la replacer dans le débat», relève-t-il.

La start-up a trouvé un sous-traitant en Italie susceptible de produire ses ardoises en quantité. Elles sont plus légères que leurs cousines photovoltaïques, sans métaux rares et faciles à installer. Enerdrape veut étoffer ses forces commerciales, recherche des installateurs pour déployer ses panneaux et discute avec des premiers clients, en Suisse et à l’international. Le marché est immense, selon Enerdrape, qui estime à 50 millions de m² la surface de parkings souterrains en Europe.

«Un fort potentiel»

«Enerdrape a une approche innovante et un fort potentiel. Toute start-up reste à risque dans les premières années, car il existe beaucoup de limites, telles que le temps, les ressources humaines et financières. Mais Enerdrape a un bon alignement projet-équipe-marché, qu’il est important de continuer à consolider pour concrétiser son potentiel», estime Caroline Coquerel, une coach accréditée par Innosuisse, qui accompagne Enerdrape.

Enerdrape planche désormais sur des panneaux plus légers, de 8 kg contre plus de 15 pour ceux de Sébeillon, tout en optimisant les rendements des installations et des liaisons avec les pompes à chaleur, notamment en accolant davantage les panneaux.

«Les défis pour contenir le changement climatique sont immenses, mais quand je vois les solutions qui émergent, ça m’incite à être confiante», indique Margaux Peltier. «Il faut néanmoins accélérer leur déploiement, et vite», conclut-elle.